Textile,  Vêtements

Cette substance cachée dans vos vêtements : le thermocollant

Si dans le vestiaire masculin, le sujet du thermocollant a été souvent abordé (notamment dans cet article : sur Keitel ou encore celui-ci : tout savoir sur les techniques d’entoilage) il n’est jamais mentionné dans l’univers féminin.

Et pourtant, combien de marques de mode féminine, aux revendications prétendument « éco-responsables », utilisent du thermocollant dans leurs vêtements ? Pourquoi cette couche tissu, utilisée pour renforcer les plastrons, les cols et les boutonnières, est-elle synonyme de bas de gamme et de nocivité pour la santé ? À travers cet article, nous allons évoquer tous les aspects négatifs du tissu thermocollé et vous indiquer comment le reconnaître, détecter sa présence dans un vêtement, pour ainsi vous éviter d’en porter sur vous au quotidien.

Qu’est-ce que le thermocollant ?

Le tissu thermocollant est une toile de coton ou de polyester enduite de colle, servant à renforcer ou consolider une partie d’un vêtement. Généralement, il est utilisé pour les plastrons, les boutonnières, les cols et pieds de col ou les poignets des chemises. Il est aussi utilisé dans la confection des corsets modernes et parfois pour fixer les broderies. Ce tissu est appliqué entre deux couches de tissu (le tissu externe et la doublure) en étant  repassé pour faire fondre la colle, qui va imprégner les différentes épaisseurs et les fixer ensemble. On peut trouver du tissu thermocollant chez des grossistes en textile et dans n’importe quelle mercerie ou boutique de fournitures pour la couture. 
S’il peut paraître utile au premier abord, son usage présente cependant deux problèmes majeurs : la très faible durabilité d’un vêtement thermocollé, et le danger qu’il représente pour la santé. Présenté comme un indispensable dans le domaine de la couture, le thermocollant n’a pourtant commencé à être employé qu’à la fin des années 50. Or, l’histoire du vêtement n’a pas commencé en 1950, c’est plutôt même à partir de la fin de cette décennie que la qualité de l’habillement a peu a peu décliné pour devenir ce qu’elle est aujourd’hui.

Il existe plusieurs types de tissus thermocollants : des tissés (plus ou moins fins), des thermocollants en maille fine, en toile d’araignée, ou encore en ouate semblable aux fibres de remplissage ou garniture. Il existe différents types de colles, contenant différents types de solvants, dont la composition est très obscure et difficile à trouver. 

Une matière nocive et cancérigène

Il est fréquent de trouver une pastille d’alerte sur les  colles pour textile avec la mention « warning : cancer ». En effet, ces dernières contiennent plusieurs matières reconnues cancérigènes par l’Institut du Cancer, telles que les solvants naphta ou le formaldéhyde. Le formaldéhyde est ce qui donne ses propriétés « infroissables » à un tissu traité, ou le caractère rigide d’un thermocollant. On peut constater que la proportion de formaldéhyde est réglementée par la loi japon ; seulement, cette réglementation ne s’applique qu’à certains types de textiles, et absolument rien ne peut malheureusement garantir l’innocuité du thermocollant standard que l’on peut acheter en mercerie, ni de celui présent dans nos cols et revers de chemise. Quant aux solvants naphta, utilisés dans la fabrication de vernis et de plastiques, et par extension dans les tissus composés de plastique, ils sont aussi étiquetés comme dangereux (classés cancérogènes de catégorie 3). Que respirez-vous lorsque vous repassez vos vêtements synthétiques ou vos chemises contenant du thermocollant ? Et qu’en est-il de la chaleur du corps et de l’effet de la transpiration sur ces matières ? Lorsque l’on connaît les risques pour la santé du polyester et des autres tissus synthétiques, on peut largement s’inquiéter des effets du port quotidien de cols de chemise, ceintures de jupes ou autres vêtements garnis de thermocollant.

 

Le vêtement thermocollé, un vêtement jetable

Un autre problème majeur du thermocollant est qu’il est le signe d’une construction de mauvaise qualité. Quelle que soit la raison invoquée par la marque qui en utilise, sachez qu’il est gage d’une durabilité médiocre.

La colle n’a pas une durée de vie illimitée. Une construction thermocollée finit toujours tôt ou tard par faire des bulles, de disgracieux froissages, des faux-plis, ou encore causer des inégalités dans la teinture, ce qui donne alors un aspect vérolé à votre vêtement. Cela donne une allure négligée et cheap à un vêtement dont on prend pourtant soin. J’ai ouvert pour vous une veste que je possède depuis quelques années, qui a du thermocollant à l’intérieur. Cette veste s’est beaucoup abîmée avec le temps, l’extérieur est en 100% coton avec une doublure polyester et à l’intérieur le tissu thermocollé. Il s’agit souvent d’un tissu blanc ou gris avec une texture plastique comme c’est le cas ici. Comme vous le voyez, ce tissu se déchire et s’étiole, ne laissant aucune possibilité de durabilité à la veste. De même, par le passé, j’ai déjà fait l’expérience de poignets et de col de chemisier devenus boulochés de l’intérieur, avec des bulles impossibles à éliminer même avec le repassage le plus soigneux.

Triplure en thermocollant se déchirant aisément lorsque l’on tire dessus.

Ces effets surviennent, selon le type de thermocollant, après des lavages, des repassages, des traitements professionnels au pressing, ou même par le simple effet du temps qui passe. C’est un élément tout à fait anti-écologique non seulement par sa composition mais aussi par le fait qu’il rend les vêtements jetables. Un col de chemisier qui fait des bulles est tout simplement fichu. On vous prétendra parfois que « les thermocollants ont beaucoup évolué en matière de tenue ». Or, cela ne change rien au fait que l’on ne sait rien sur ce qui les compose et sur leur nocivité à long terme.

Et quelle tristesse, lorsque l’on voit des marques pleines de bonne volonté utiliser du lin, du coton biologique et des tissus anciens upcyclés pour créer de beaux chemisiers, les gâcher en utilisant du thermocollant dans les poignets et les cols… 

Une aberration stylistique

L’élégance ne peut pas décemment rimer avec la destruction de la nature. Alors que les manuels d’étiquette encouragent, à raison, au minimalisme et à la sobriété pour préserver sa beauté naturelle, vouloir être élégante en robe tailleur thermocollée n’a aucun sens. Porter une matière aussi polluante pour le monde et pour soi-même va totalement à contresens de ce qu’est l’élégance : non, le synthétique, ce n’est pas chic, au contraire de ce que prétendent certaines pour se déculpabiliser de surconsommer des robes en polyester de chez Caroll ou pour justifier l’absence de matières naturelles dans leur marque de vêtements correspondant prétendument aux codes de l’élégance féminine.

Si vous souhaitez savoir si une marque de vêtements est digne de confiance, posez la question : demandez à la marque quelle est la construction interne de ses vestes ou de ses manteaux. En fonction de la réponse, et du ton de celle-ci, vous saurez qu’il ne faut pas acheter.

Comment connaître la construction d’un vêtement sans l’ouvrir ?

Il est possible d’effectuer un test pour évaluer la construction interne d’un vêtement. Cela demande un peu de temps et d’expérience mais à la fin, vous arrivez aisément à reconnaître au toucher un vêtement contenant du thermocollant. Pour vous entraîner, prenez votre veste et essayez de faire ce test :

Tout d’abord, pincez le tissu entre vos doigts au milieu de la manche (là où il n’y a jamais de structure interne). Faites rouler le tissu entre vos doigts : vous allez sentir uniquement le tissu extérieur, évaluer son épaisseur et sa texture.
Ensuite, faites la même chose au niveau du plastron, près du col. Vous allez sentir que l’épaisseur n’est pas la même. Essayez de pincer en même temps l’intérieur et l’extérieur en ayant une main à l’intérieur de la veste, et essayez de sentir un troisième tissu entre le tissu principal et la doublure :

  • Si vous sentez une toile rugueuse et un peu dure, qui ne semble pas attachée aux deux autres tissus mais semble plutôt flotter, il s’agit d’un entoilage traditionnel : ce que vous sentez est une toile tailleur en crin de cheval. 
  • Si vous sentez que le tissu extérieur est plus dur à plier que sur la manche, qu’il semble plus épais et que vous ne parvenez pourtant pas à sentir une troisième couche de tissu, il s’agit à coup sûr de thermocollant.
  • Si vous sentez qu’il y a à l’intérieur comme une sensation de glisse désagréable (un peu comme lorsque l’on frotte un tissu rugueux sur des collants en nylon transparent) ou que vous ressentez un craquement progressif en essayant de séparer les différentes couches de tissu, il s’agit également de thermocollant.
  • Si vous ne sentez aucune différence d’épaisseur sur le tissu principal et que vous ne parvenez pas à déceler la présence d’un troisième tissu entre celui-ci et la doublure, ni dans le plastron ni dans le col, il s’agit alors d’une veste déstructurée, c’est à dire sans construction interne.

Concernant la toile tailleur, vous pouvez la rencontrer sur vos vestes et manteaux anciens et vintage (1950 ou antérieur), mais également sur des vestes et manteaux plus récents (ou vintage avant 1990) de grandes maisons. La construction déstructurée est à privilégier pour les achats de vêtements récents : elle ne coûte pas plus cher (car il n’y a pas d’étape supplémentaire dans le processus de fabrication) et permet d’éviter toute confusion.

Quelles marques féminines proposent des vêtements sans thermocollant ?

J’ai procédé à une investigation auprès des marques mises en avant sur mes réseaux sociaux, ou dont je suivais les publications. 

Une belle démonstration : la marque, qui fait mine de ne pas comprendre la question, admet ensuite que « bien sûr, elle utilise une triplure standard (comprendre : thermocollée) ».

L’on constate ici encore une différence majeure entre la mode féminine et la mode masculine en terme de qualité et de sérieux : si l’on demande à n’importe quelle marque de vêtements pour homme quelle est la construction de ses chemises, vestes ou manteaux, on obtient (la plupart du temps) une réponse cohérente et directe à la question. Dans la mode féminine, c’est une extraordinaire aventure mystique pleine de non-sens, de méconnaissance du sujet, ou de pirouettes destinées à noyer le poisson. Le terme de « construction interne » n’est même pas compris par certaines marques, qui font sous-traiter leur production dans un autre pays sans jamais avoir mis les pieds dans l’atelier de fabrication ou ne connaissant presque rien aux étapes de fabrication d’un vêtement. 

À titre d’exemple : Femkit, Linen Naive, Bedra Vintage (Camilla Vintage sur Instagram), ou encore DLC Couture, proposent des manteaux entre 550 et 750€ en moyenne. Le moins cher est celui de chez Femkit à 375€. Tous ont une construction thermocollée. Dans cet ordre de prix (500€), il est pourtant possible d’avoir un manteau sans aucun thermocollant, made in France, avec de la laine écologique chez Atelier Loden

La marque Son de Flor m’a indiqué ne jamais utiliser de thermocollant : la construction est déstructurée, c’est à dire sans triplure. C’est aussi le cas des vêtements de chez Little Women Atelier, qui n’en contiennent pas (même dans les gilets). Vous pouvez donc acheter ces marques avec la garantie que vous n’aurez pas de vêtement thermocollé. J’essaierai de trouver d’autres marques de confiance pour vous.

Et en seconde-main ?

Plusieurs options s’offrent à vous :

  • les capes et manteaux non doublés (les manteaux autrichiens par exemple)
  • les chemisiers et blouses sans pied de col (ou à col lavallière, qui se veut fluide et n’est donc pas rigidifié)
  • demander a faire le test de la détection par pincement
  • toujours prendre son temps pour choisir, bien chercher (travail de tailleur, vintage avant 1960…)

Porter des vêtements sans thermocollant vous assure une garde-robe plus saine, plus éthique, plus durable, d’une qualité largement supérieure. 

Si votre souhait est de vous habiller en respectant l’étiquette, vous gagnerez encore plus en élégance rien qu’en éliminant cela de votre dressing. C’est aussi vrai avec le polyester, dont je vous parle plus en détail dans cet article : les dangers du polyester et des vêtements synthétiques.

Si vous avez un doute en faisant le test du pincement, n’hésitez pas à me demander, je ferai mon possible pour vous donner plus d’indications pour réaliser ce test. 

Connaissiez-vous les méfaits du thermocollant ?

Avez-vous déjà commencé à faire du tri dans votre garde-robe ? 

Documentation au sujet du thermocollant :

Document : Formaldehyde dans le textile :https://www.cottoninc.com/wp-content/uploads/2017/12/TRI-4008-Formaldehyde-in-Textiles.pdf

Article sur la composition chimique de différents types de colles textiles : https://patents.google.com/patent/WO2017091671A1/en
Fiche produit d’une colle textile
https://www.gorillatough.com/wp-content/uploads/Gorilla-Glue-Fabric-Glue-v1.2.pdf

Documentation d’un fournisseur en tissus thermocollants : http://www.kvilene.co.kr/sub02_01_en.asp

National Library of Medicine, une revue de l’usage des tissus thermocollants dans la fabrication de vêtements : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC6290625/

Passionnée d’art, j’ai repris le dessin en 2019 après une longue pause. J’aime énormément chiner, me rendre chez les antiquaires et sur les brocantes ; les vieux manuels d’étiquette et les livres anciens de dames que l’on peut avoir la surprise d’y trouver sont pour moi de vrais trésors. Je partage avec vous mon univers entre nature, écologie, dessin et beauté.

4 Commentaires

  • Alice

    Merci pour cet article très clair et bien ficelé. Je connaissais l’existence de ces thermocollants mais pas avec tant de précision. J’apprécie beaucoup que tu utilises des termes textiles spécifiques. En plus d’apprendre, on peut aller plus loin en terme de recherches personnelles. Concernant ma garde-robe, je pense que je n’en ai nulle part. Je suis toujours en cours de tri, et ces données m’eviteront d’acquérir des vêtements qui ne répondent pas à mes critères.

  • Anne marie Schneenerger

    Bonjour,
    Merci pour cet article, qui me « scotche ».
    J’en utilise pour pratiquement tous les vêtements que je couds et je suis horrifiée.
    D’où ma question:
    Comment peut on remplacer le thermocollant, qd on coud soi même ses vêtements
    En cousant du voile de coton entre les tissus des cols et autres cousettes.
    Merci d’avance pour votre réponse.

    • Célestine Brunon

      Bonjour Anne Marie, il est possible de remplacer l’usage du thermocollant par une triplure en toile de lin, coton, ramie, selon l’effet recherché vous pouvez utiliser une toile plus ou moins dense. Je vois des couturières utiliser simplement le même tissu que le tissu principal (pour les cols de chemisiers notamment) ! Je vous recommande de regarder des manuels de couture historique, donnant des techniques d’époques où ce matériau n’existait pas.

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